La vie quotidienne de la Cité est rythmée par la sirène du chantier qui marque les débuts et fins de postes. Il faut dire que le travail occupe la quasi-totalité des journées des ouvriers ; 10 heures par jour sont quasiment la règle. Les journées de 12 heures ne sont pas rares. Ceux qui s'occupent de l'entretien peuvent aussi y passer 4 heures le dimanche matin.
Le manque permanent de main d'œuvre en est l'une des causes mais le classement du chantier en "S.Beitrib" (c'est-à-dire dispensant du STO) aide au recrutement. Les difficultés du trajet pour ceux qui logent un peu loin alourdissent les journées. Les marches quotidiennes d'une demi-heure à une heure ne sont pas rares, à l'aller comme au retour. Ceux qui ont des vélos sont sur ce point favorisés, mais encore faut-il trouver des pneus…
Nous sommes en 1940, la façon d'envisager le travail sur les chantiers, en matière de confort et de sécurité, est très différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. La situation géographique, l'absence de routes, les conditions météorologiques et la particularité du chantier rendent les conditions de travail encore plus difficile et parfois dangereuses et l'on déplorera plusieurs accidents mortels.
Tous les métiers liés au béton, au boisage, aux montages métalliques et à l'entretien sont représentés. Le chantier s'étend sur près de 15 km, depuis les carrières de Valette, en aval jusqu'à la gare où arrive le ciment, près d'Arches. Plusieurs équipes de forestage, réparties sur les pentes des rives de la Dordogne, travaillent à la production de charbon de bois et de bois d'œuvre.
L'entreprise Ballot fait beaucoup pour améliorer la condition des travailleurs.
Elle édite un Bulletin technique destiné à la formation de l'encadrement et encourage les ouvriers à se former dans des domaines aussi variés que le béton, la charpente, la lecture de plans ou la géométrie appliquée.
Même si cela est induit par l'évolution de la législation du travail, elle est en avance sur son temps avec la mise en place d'une Charte du Travail et d'un Comité Social où les étrangers sont à égalité de droit avec les Français. Ce dernier traite avec une efficacité certaine toutes les questions de la vie matérielle. Un comité de prévoyance est mis en place dès 1941.
La solidarité de cette population sera exemplaire. Sur place, se met en place des cours du soir de Français et la distribution gratuite de livres d'école. Et le souci des prisonniers est permanent : alors que la rigueur est de règle dans la cité, les quelques bénéfices engrangés par les représentations théâtrales sont immédiatement converties en colis pour les prisonniers. En 1941, EEMD et Ballot offrent un arbre de Noël aux enfants, ils auront droit à un vêtement, un pot de confiture (il y en eût 600 de distribués) et un goûter. A l'occasion de la Sainte Barbe 1943 (patronne des mineurs), c'est un litre de vin par personne qui est distribué.
Les cantines abritent souvent des bals clandestins animés par les Thivet, Alsac, Betti… Ils sont très courus par la jeunesse pendant que les anciens jouent à la belote dans les arrières salles.
Les restrictions alimentaires ne simplifient pas la vie quotidienne. Même si les quantités allouées aux travailleurs de force sont plus importantes et que le vin leur est souvent réservé, on manque d'à peu près tout. Mais avec la complicité des agriculteurs locaux qui fournissent volailles, œufs, fromages etc., la mise en place de jardins ouvriers (où l'on cultivait aussi un peu de tabac), la coopérative, un peu de braconnage… la Cité passe pour un refuge sûr où l'on mange bien.
L'entreprise Ballot aide à l'approvisionnement des cantines. Certains de leurs patrons pêchent dans la Dordogne alors extrêmement poissonneuse. D'autres se débrouillent autrement. On rit encore de l'un de ces propriétaire de cantine surpris par des noctambules en train de déterrer un âne mort dans la journée... "Ma quand c'est bien couit, on ne risque rien !" disait-il...
Des difficultés récurrentes dues aux cartes de rationnement apparaissent pour l'approvisionnement des chaussures. Les magasins du chantier voient quelquefois disparaître des cordages ou des gros joints en caoutchouc que des bricoleurs habiles sauront transformer en objets chaussants…
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La vie n'est pas triste. Le cinéma fonctionne deux fois par semaine ; il est même envisagé une troisième séance. Un groupe sportif se met en place. Football, rugby, basket font la joie des plus jeunes. Une troupe modestement appelée "Groupe Artistique des Ouvriers et Employés du Barrage de l'Aigle" monte des pièces de théâtre et autres soirées de divertissement auxquels les Espagnols répondent par une soirée "Typique". Cette équipe donne des représentations à Aynes, bien sûr, mais aussi à Mauriac, Soursac, Lapleau et même Salers.
Un car rompt l'isolement en permettant une liaison quotidienne avec Mauriac, et la vie de la Cité va tranquillement entre sa poste, sa gendarmerie, son école, son assistante sociale, son infirmière la bien nommée Piqûre... Le journal "Notre Barrage" se fait l'écho de l'avancement des travaux, encourage les ouvriers à se former pour obtenir de meilleurs qualifications et salaires, raconte les anecdotes de la Cité et du chantier et donne des informations sur les facilités que peut accorder le Comité Social.
Le tournage d'un film, "Lumières d'été" de Jean Grémillon vient apporter une inhabituelle animation et laissera à chacun d'inoubliables souvenirs.
L'écoulement du temps est marqué par les travaux de la vie quotidienne. Chacun connait ses peines, ses joies... Des deuils surviennent, des idylles se nouent, des mariages aussi et des enfants naissent ici...
Rien, dans cette vie qui semble paisible, rien n'indique qu'est en train de se construire un réseau de résistants qui va bientôt entrer en action...
Mais ils savent tous confusément qu'au bout de leur longue et lourde tâche, au bout de ces combats, ils pourront porter haut une fierté retrouvée !
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